La réforme de l’ENA a été annoncée par l’exécutif. En voici les bons et les moins bons points. Le gouvernement se doit cependant de ne pas tomber dans une réforme « effet d’annonce » qui ne remédierait pas vraiment aux travers de notre haute fonction publique.
Les bons points de la réforme
1 – La transformation de l’ENA en ISP. On sait que l’école accueillera le tronc commun de 13 écoles (ENA, INET, ENM, EHESP, EN3S, ENAP, 4 écoles d’application de Polytechnique, FOGN et FNS). Le projet d’ordonnance précise que l’ISP assure la formation initiale des fonctionnaires destinés à accéder au corps des administrateurs de l’État ainsi que d’autres corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer des fonctions supérieures (formation continue des cadres dirigeants de type école de guerre).
2- La création d’un seul corps : le corps des administrateurs de l’État, permettant d’élargir l’actuel corps des administrateurs civils en y adjoignant d’autres corps, ce qui reviendrait à mettre les anciens corps concernés partiellement ou totalement en extinction. Au Royaume-Uni, la haute fonction publique britannique forme un seul grand corps interministériel rattaché au Premier ministre.
3- La création d’un encadrement supérieur unique des hauts fonctionnaires, regroupant les agents occupant les emplois à la décision du gouvernement, les emplois fonctionnels, les dirigeants des établissements publics, mais aussi ceux « qui exercent des fonctions supérieures de direction, d’encadrement, d’expertise ou de contrôle leur donnant vocation à occuper ces emplois. »
4- La fonctionnalisation de la haute fonction publique que le Président envisage permettrait d’éviter la constitution de « rentes à vie » en détachant pour une durée déterminée (2 à 3 ans) dans les postes A+, assurant rotation et non pérennisation des rémunérations qui leur sont attachées. Là encore, le projet rejoindrait l’exemple britannique où les carrières font la part belle aux choix et aux compétences de terrain. À condition que tous les hauts fonctionnaires (hors magistrats) soient concernés.
5- La fusion des corps d’inspection (IGF, IGAS, IGA) en une inspection générale unique et transversale (fonctionnelle, statutaire ou hybride). L’option choisie pourrait être basée sur l’exemple japonais du somushô, avec un corps d’inspection unique, partiellement fonctionnel en début de carrière (avec titularisation par la suite). C’est une très bonne nouvelle.
Les points encore à éclaircir
1- Le statut de l’Institut de Service Public ne sera pas universitaire (EPSCP) mais administratif. Ce choix devrait l’empêcher l’école de délivrer directement des diplômes contrairement à ce qui se pratique au Royaume-Uni (fast-track après « Oxbridge », aux Etats-Unis (dans les Schools des universités de la Ivy League) et surtout en Allemagne, où c’est la compétence technique acquise à l’université qui prime. L’ISP devra donc nécessairement s’associer à des Universités, Paris, Sciences & Lettres par exemple.
2- Si la sortie des élèves ne se fera plus directement dans les grands corps que sont le Conseil d’État, l’Inspection Générale des finances ou la Cour des comptes, les agents seront-ils titularisés dans le corps des administrateurs de l’État ? La logique voudrait que ce corps aussi soit fonctionnalisé et que les agents y soient contractuels et non titulaires. Et de surcroît que le classement de sortie soit supprimé. Sinon, les avantages de la fonctionnalisation seraient fictifs car fonctionnant avec un vivier fermé.
3- Quid de la promesse de campagne d’Emmanuel Macron de faire entrer un quart de dirigeants dans les administrations issus du secteur privé ? Il semble que cette promesse pourtant essentielle à la mixité de parcours dans nos administrations ait été oubliée…
4- Quid aussi de la possibilité de faire de la politique tout en restant titulaire de la fonction publique alors que cela n’existe pas dans les autres grandes démocraties qui exigent une certaine neutralité de leurs agents ? Rappelons que le Président de la République lui-même (comme Bruno Le Maire, Nathalie Koscuisko-Morizet ou Valérie Pécresse) a démissionné de la haute fonction publique. Il serait cohérent d’exiger la démission pour tout engagement politique si les dirigeants formés à l’ISP continuent de bénéficier d’un statut à vie. Cela vaudrait aussi pour les diplômés de l’ancienne ENA.
La réforme proposée est donc à la fois ambitieuse et modeste. Ambitieuse car elle cherche à mettre en place la flexibilité des carrières et le vivier nécessaire et transdisciplinaire qui lui fait aujourd’hui défaut (création de la délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État). Modeste parce qu’à ce stade rien n’est annoncé pour une véritable contractualisation à la tête de nos administrations. À quoi sert-il de supprimer l’ENA si l’on conserve des titulaires à vie dans la haute fonction publique ? La place des contractuels dans la haute administration et l’administration de demain est centrale dans le débat qui s’amorce. Changer l’administration en faisant venir les talents du privé, en supprimant les rentes et en contractualisant comme cela est la règle dans les pays qui nous entourent. Il ne sert à rien de « fonctionnaliser », c’est-à-dire nommer dans des postes pour une durée déterminée, sans contractualiser.