Justice, pénitentiaire, terrorisme… on enchaîne les lois sans vision globale

Sécurité

Justice, pénitentiaire, terrorisme… on enchaîne les lois sans vision globale

Nous souffrons toujours de l’absence cruelle d’une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure et de la justice. Comme nous l’indiquions déjà en novembre dernier, le gouvernement sous couvert de spécialiser ses vecteurs législatifs saucissonne allègrement les projets de lois relatifs à la sécurité intérieure et à la justice. Un texte par mois en 5 mois ! La déclinaison en 2021 de ce penchant se vérifie au travers de deux projets de lois dont l’un est déjà depuis la mi-avril sur le bureau de l’Assemblée nationale : «pour la confiance en l’institution judiciaire«, et l’autre devrait être déposé ce mercredi en matière antiterroriste. Le premier est un vecteur « fourre-tout » portant diverses dispositions d’ordre judiciaire. Le second, déjà prévu de longue date mais sans fenêtre de tir législatif jusqu’à l’attentat de Rambouillet le 23 avril dernier, a été inscrit d’urgence à l’ordre du jour du Parlement.

Cette absence de vision globale du continuum sécurité intérieure/justice est préjudiciable dans la mesure où elle détourne le débat des véritables enjeux. S’agissant du projet de loi «relatif à la confiance dans l’institution judiciaire», le Conseil d’État relève d’emblée dans son avis que « l’exposé des motifs du projet de loi ne comporte pas de considérations sur son inspiration générale, autre que celle que traduit son titre (…) et commence directement par une présentation de chacun de ses articles. » À l’évidence, le gouvernement ne parvient pas en la matière à exposer clairement la nécessité de légiférer et le lien logique qui unit l’ensemble des dispositions proposées à l’examen des parlementaires. Il aurait donc pu présenter un projet de loi unique dont les deux pans auraient été la confiance dans la justice et le renforcement de la lutte anti-terroriste, mais cette option n’a pas été retenue.

La loi «pour la confiance en l’institution judiciaire» autorise l’enregistrement des audiences pour une diffusion sur le service public «à des fins pédagogiques», ainsi qu’à la délocalisation des audiences «relatives à de grands procès.» La mesure est sans doute intéressante pour aider les justiciables à mieux appréhender les particularités de la justice française (civile, pénale, administrative), mais cela répond-il aux besoins actuels ? On peut en douter. On se souviendra que depuis 1954 un principe d’interdiction absolue de publicité existe en la matière afin de répondre au principe de sérénité des débats et de respect de la vie privée.

La loi encadre les procédures d’enquêtes et mieux protéger le secret professionnel de l’avocat. L’actuel ministère de la Justice M. Dupont-Moretti, lui-même ancien avocat pénaliste, répond ici à un malaise de son ancienne profession qui avait éclaté à la faveur de l’affaire des « écoutes » Azibert-Sarkozy concernant le respect du secret professionnel et la durée des procédures. Il en ressort le projet de limiter à 2 ans les enquêtes préliminaires, de faciliter l’accès au dossier des différentes parties et d’ouvrir plus rapidement le débat contradictoire. On cherche visiblement à encadrer plus précisément les pouvoirs de l’instruction. D’autres mesures de « fluidifications » des procédures sont ajoutées comme la mise en place d’une audience préparatoire criminelle ou la médiation pour les divorces sans recours au juge.

Le projet de loi comporte aussi un volet purement répressif. Mais, là encore, la logique du «en même temps» fait son œuvre : si certains dispositifs visent à accélérer les procédures, ou à renforcer l’exécution des peines en réduisant leur remise, d’autres dispositifs cherchent à alléger les conditions de détention.

Le nombre des jurys populaires aux assises passe de 6 à 7 afin de raccourcir les délibérés ; il lance une expérimentation pour 3 sans des juges honoraires en tant qu’assesseurs des cours d’assises et criminelles et renouvelle l’expérimentation (faute de lui avoir donné une durée légale adéquate initiale) des cours criminelles départementales avant extension nationale au 1er janvier 2022. Une juridiction interrégionale pour les crimes en série est créée, tandis que celle nationale relative aux injonctions à payer est repoussée du 1er janvier 2022 au 1er janvier 2023.

S’agissant des questions pénitentiaires, la loi supprime les crédits automatiques de réduction de peines institués depuis 2004 mais prévoit qu’à la place de ce système et dès le 1er janvier 2023, les juges d’applications des peines pourront donner jusqu’à 6 mois de réduction de peines par an aux condamnées (hors terrorisme) en cas de bonne conduite. En plus de cela et en cas d’extrême bonne conduite (pour comportement exceptionnel : « par exemple, un détenu s’interposant en cas d’agression d’un surveillant »), une réduction jusqu’au 2/3 de la peine pourra être accordée. Le texte vise à faciliter le recours au bracelet électronique (ou anti-rapprochement) pour limiter la détention provisoire. La logique budgétaire triomphe sur la logique réparatrice de la peine, en limitant au maximum les cas effectifs d’incarcération. C’est la même approche qui était adoptée au temps de Christine Taubira. En mars 2021, 13.219 détenus étaient placés sous bracelet électronique, soit 14,4% de plus qu’en janvier 2020. De même dans une logique de réinsertion professionnelle par le travail, le texte prévoit de créer un contrat d’emploi pénitentiaire, à temps plein ou temps partiel avec l’administration suivant les règles de droit commun du Code du travail. Rien en revanche sur un projet d’accélération des programmes immobiliers pénitentiaires en cours…

L’exécutif a donc une méthode bien à lui pour mettre en musique les promesses présidentielles de 2017. Pour rappel : appliquer comme règle que « toute peine prononcée sera exécutée et les peines seront immédiatement mises à exécution telles qu’elles ont été prononcées » et de supprimer l’examen automatique de l’aménagement de peine. Certes l’aménagement de peine sera bien réduit sauf exceptions, certes la justice sera plus rapide. Mais la promesse d’exécution se double d’une ouverture très large aux alternatives à l’incarcération. La raison ? Le programme pénitentiaire présidentiel avance à pas de loup : le programme 15.000 place accouchera de 5000 places seulement dont 4.630 prélevées sur les programmes antérieurs. Pour la lutte antiterroriste, il faudra attendre le prochain projet de loi.

Sécurité, voir d'autres réformes